Les Peuls focalisent actuellement l’attention du fait de l’instrumentalisation de certains d’entre eux par des groupes fondamentalistes tentant de s’implanter localement dans le Sahel. La terreur djihadiste crée une angoisse sociale chez les autres communautés dans les zones menacées, faisant des Peuls des boucs émissaires du fait de leurs prétendues affinités historiques avec l’islam radical. L’identité peule apparaît comme un épouvantail symbolisant la menace djihadiste. Pourtant, cette identité est trop hétérogène pour établir un lien aussi simple. Les Peuls seraient entre 25 et 65 millions d’individus en Afrique, répartis sur une vingtaine de pays dans le centre et l’ouest du continent, et dans le monde. Cette variation très importante peut s’expliquer par le type d’indicateur employé (ascendance paternelle ou maternelle, pratique de la langue, reconnaissance de communautés assimilées, etc.). Les Peuls constituent un ensemble de communautés vivant notamment de l’élevage, soumis aux conflits fonciers, aux changements climatiques et en butte parfois au racisme d’État. Du fait de la diversité de cette communauté, il est nécessaire d’appréhender les questions relatives aux Peuls à la lumière des revendications identitaires en mutation. Les outils de la nouvelle mondialisation (réseaux sociaux, mobiles, etc.) créent une interconnexion puissante entre les différents éléments de la diaspora peule.Une communauté en mutation Depuis 2012, le centre du Mali est en proie à des affrontements intercommunautaires sur fond de massacres réguliers des Peuls par des milices locales, ou par des agents de l’État. De nombreux charniers ont été retrouvés depuis 2013.Dans le contexte de violence au Mali, la diaspora peule s’est mobilisée, comme l’ont montré des marches récentes à Nouakchott, à Washington, à Paris et dans d’autres grandes villes à travers le monde. Sur les réseaux sociaux et les systèmes de messagerie, les images de destruction et de mort sont partagées très rapidement, sous le coup de l’émotion, et pour témoigner. Dès que de nouveaux évènements touchent des Peuls dans une partie du monde, l’information est relayée.En République centrafricaine (RCA), ou dans les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Togo, Ghana, Côte d’Ivoire), les violences subies par des Peuls fournissent du contenu violent et traumatique à travers les échanges de photos et de vidéos, renforçant l’idée des Peuls comme peuple uni dans la victimisation. Pourtant, alors qu’ils font face en RCA à un contexte de guerre civile, dans les autres pays du continent, il s’agit plutôt d’explosions dues aux tensions habituelles entre éleveurs peuls et agriculteurs.Malgré ces différences de contexte, il existe bien une communauté peule ayant conscience de son unité, faisant face donc à des défis de nature diverse. Le sentiment de stigmatisation actuel est ainsi en train de lui conférer une identification commune que l’on ne peut plus ignorer. Lorsque des Peuls souffrent ici, des Peuls là-bas s’identifient désormais à eux, surtout lorsque lesdites souffrances ont des échos dans leur propre quotidien. L’expérience commune de l’identité peule est clairement en train de se renforcer autour du traumatisme. Une même angoisse de l’éradication La mémoire sociale et les récits de Peuls différents contribuent à une idée globale partagée de la condition peule. Les histoires circulent, de même que les mythes antiques, les chants modernes, les articles de presse, etc. L’histoire des Peuls de la Guinée éclaire fortement cette réalité. Le régime de Sékou Touré (1958-1984), premier Président du pays, a procédé à des exécutions et mis en place une politique discriminatoire à l’encontre de Peuls, estimant que leurs élites étaient des agents internes des puissances impérialistes occidentales visant à renverser le régime. Les Peuls étaient alors accusés d’avoir peu soutenu le référendum ayant fait accéder la Guinée à l’indépendance en 1958, deux ans avant les autres colonies françaises d’Afrique de l’Ouest.Les rivalités politiques étaient sans doute la source principale de la stigmatisation, les stéréotypes ethniques et le racisme venant rationaliser les positions de l’État a posteriori. En effet, une grande part des opposants aux politiques de Sékou Touré étaient peuls. Parmi eux, Boubacar Diallo Telli, premier secrétaire général de l’Organisation de l’Unité africaine, fut torturé et mourut emprisonné par le régime de Sékou Touré. Des centaines d’autres furent tués ainsi.
Avec de nombreux défis à relever, les leaders politiques peuls sont très attendus sur les questions relatives à leur communauté. Cependant, ils éprouvent de grandes difficultés à déployer un discours audible sur ces questions. Accuser un Peul de « biais ethnique », de « fourberie », d’« extrémisme » est devenu une manière efficace, dans la compétition politique, de s’assurer leur silence ou une forme d’autocensure sur les questions touchant à la communauté.Il en va ainsi au Mali avec le candidat à la présidence Soumaïla Cissé, en Guinée avec l’opposant Cellou Dalein Diallo, ou encore au Nigéria avec le président Muhammadu Buhari: le rappel continu de leur appartenance identitaire peule et de supposés biais parvient à miner leur impartialité politique. Cissé est fréquemment accusé de favoritisme pour les régions du Nord, Diallo d’entretenir un agenda secret de domination et de revanche des Peuls. Au Nigéria, des classes populaires aux intellectuels, il est fréquent d’entendre que le président Buhari protégerait les Peuls coupables de massacres dans le centre et le sud-est du pays, et d’ainsi laisser se former un suprématisme peul.Ces attaques ad hominem contre ces figures politiques peules contribuent à renforcer au sein de cette communauté hétérogène le sentiment global qu’ils sont mal-aimés, et ainsi nourrir des récits chargés émotionnellement quant à leur position précaire et la nécessité de se protéger. La rumeur d’un État peul La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.