Emportés dans une histoire d’amour et de vengeance devant sa caméra, Edouard Baer et Cécile de France évoquent “Mademoiselle de Joncquières” d’Emmanuel Mouret, qui nous présente également son nouveau long métrage. Disponible en Blu-ray et DVD.
L’amour est l’un des thèmes de prédilection d’Emmanuel Mouret, et le réalisateur le prouve avec Mademoiselle de Joncquières, son neuvième long métrage. Mais avec quelques changements car il s’agit ici de son premier film d’époque, et qu’il est notamment question de vengeance dans cette adaptation très libre d’un chapitre de “Jacques le Fataliste”, dont nous parlent le metteur en scène ci-dessous, et ses acteurs Edouard Baer et Cécile de France ci-dessus
AlloCiné : Qu’est-ce qui vous a mené vers cette libre adaptation de Diderot ?
Emmanuel Mouret : Outre mon intérêt pour cet auteur, le récit était pour moi une promesse de cinéma, d’une façon relativement évidente. Et notamment l’idée de faire une histoire de vengeance. Il y a un aspect qui m’intéresse au cinéma : l’exploration des fantasmes. La vengeance est un fantasme que l’on a tous, mais que l’on réprimande aussitôt qu’un ressentiment nous l’inspire, en se disant que l’on a autre chose à faire, que l’on n’a pas le temps ou que c’est ridicule. Mais le cinéma nous permet de rencontrer des personnages qui vont jusqu’au bout de nos fantasmes, d’une façon entière et, si l’on parle de celui incarné ici par Cécile de France, magnifique. Et brillante. Et diabolique.
Tous vos longs métrages précédents se déroulent au présent, sauf celui-ci, qui est votre premier film d’époque. Avez-vous songé à moderniser le récit ?
Robert Bresson et Jean Cocteau l’avaient déjà fait dans les années 40 [avec Les Dames du Bois de Boulogne, ndlr]. Et comme le récit est assez court, il laisse beaucoup de liberté à un cinéaste, qui peut y ajouter des excroissances, rallonger un côté et en raccourcir un autre. Ce qui m’intéressait, en gardant l’époque d’origine, c’était justement que l’on ne se pose pas de question de vraisemblance par rapport au monde contemporain. Et que l’on soit presque, comme lorsque l’on écoute un mythe, d’emblée plongés dans le réalité sentimentale de ce que vivent les personnages. Que nous ayons oublié notre quotidien.
En plus de la magnificence qu’elle permet, à travers les décors et costumes, l’époque donne aussi une certaine forme de liberté dans l’écriture. On se laisse moins aller dans la fiction lorsque c’est très contemporain, parce qu’on a une idée de ce qui est naturel et ne l’est pas. Dans un film d’époque, on se laisse porter par l’idée d’époque qu’il véhicule.
Mademoiselle de Joncquières Bande-annonce VF
Le fait de réaliser un film d’époque a-t-il changé votre approche de scénariste et de réalisateur, par rapport aux longs métrages se déroulant de nos jours et où vous parveniez à créer un décalage à travers les situations et les mots ?
Non. Quand on travaille, on le fait à partir d’une histoire, puis d’un scénario et de situations, qui nous permettent d’être tout de suite dans le concret et de savoir comment raconter et mettre le récit en scène. Ou comment filmer telle chose. Et c’est la situation que traversent les personnages de l’histoire qui nous nourrit. On tente bien évidemment des choses nouvelles d’un film à l’autre, ici un récit très dialogué avec des personnages assez brillants et intelligents. Il y avait donc cette envie d’un récit qui fasse un peu courir le spectateur, que ce dernier soit tout le temps en alerte. Il faut qu’il soit concentré pour pouvoir suivre le récit. J’avais, peut-être plus que dans mes autres films, envie d’attirer son attention.
Et ainsi lui permettre de comparer l’époque du film à la sienne, et voir ce qui a changé ou non. Est-ce aussi dans ce but que vous n’avez pas modernisé le récit ?
Je ne me le suis pas formulé ainsi, mais c’est assez juste ce que vous dites. Cela permet de donner à penser, à réfléchir, au spectateur. Mais sans le lui imposer. Il est alors libre d’établir des liens, de trouver des échos et résonnances avec notre actualité.
J’aime la densité d’un film, par opposition à la dilatation des séries
Vous parliez du fait que le récit contenu au sein de “Jacques le Fataliste” était très court donc facile à moduler. Est-ce que la structure a été compliquée à mettre en place ?
Elle est assez simple et assez claire chez Diderot. Il était en revanche important pour moi, par rapport au texte original et à l’adaptation de Bresson, de développer certains moments comme le début et la fin, pour que nous ayons tous les mouvements du coeur, et notamment celui de Madame de la Pommeraye, jouée par Cécile de France. Qu’il y ait une grande étendue de mouvements du coeur et de l’esprit dans l’histoire. Ce qui est intéressant, c’est que le récit nous montre qu’il ne faut jamais juger les gens trop vite, que la vertu n’est pas forcément là où l’on croit qu’elle est et que les gens changent. Et que l’amour peut nous transformer : soit parce qu’il nous porte, soit parce qu’il nous fait souffrir.
Est-ce pour suivre cette courbe du coeur dont vous parlez que le montage se compose de plans plus courts alors que la musique se fait plus incisive au fur et à mesure que le récit progresse ?
Le récit est effectivement de plus en plus acéré lorsque nous approchons de la fin, et c’est d’ailleurs Woody Allen qui dit qu’il faut finir un film comme s’il y avait le feu. Mais si on prend le temps au début. Alors nous pouvons avancer à grands pas par la suite. Mais cela relève avant tout d’une intuition de rythme dans un film : certains commencent très vite et s’alanguissent ensuite.
Et ces films s’avèrent souvent décevants car on sent que le début a été très bien pensé, mais que la personne qui l’a écrit et/ou mis en scène a eu du mal à rester sur sa lancée ensuite.
Pour moi le propre d’un film, ce qui le structure si on veut le comparer à une architecture, c’est que la base, c’est la fin. C’est ce sur quoi tout repose. Un début d’histoire, c’est assez facile, mais le travail d’écriture consiste surtout à relier tous les fils du récit pour lui donner son équilibre. Je partage donc votre analyse et je pense aussi qu’il s’agit d’un intérêt du cinéma en opposition avec la série. Ce qui est intéressant dans la série, c’est l’arbitraire. Cette idée que tout peut changer, se retourner. Le flottement. Car cela peut aller dans un sens ou dans l’autre au fil des saisons.
Le plaisir du cinéma, pour moi en tant que spectateur et peut-être pour vous, c’est que l’on pose une situation dont on nous donne la fin au bout d’une heure et demie ou deux heures. Comme dans un conte. C’est pour cela qu’il ne faut pas opposer série et film, car les deux apportent quelque chose de très différent.
Vous pourriez donc vous tourner vers les séries, ou vous préférez vous en tenir aux récits fermés du cinéma ?
J’aime pour l’instant ce côté conte, fable, des films. Mais peut-être que je suis plus à l’aise sur les récits fermés car, naïvement, j’ai une impatience de la fin. Donc une irritation, face aux séries, par rapport à l’idée de fin sans cesse reportée et le sentiment de dilatation. Nous parlions d’accélération du récit, et j’aime la densité d’un film, par opposition à la dilatation des séries.
Il était assez stimulant de montrer Edouard Baer sous un autre angle
Avez-vous songé à faire plus qu’un brève apparition dans “Mademoiselle de Joncquières” ? À tenir l’un des rôles principaux.
Non, je n’en ai jamais eu l’idée. La seule partition dont j’aurais pu m’emparer est celle du Marquis mais elle ne me correspond pas. Et elle demande des interprètes de haut niveau, ce que je ne suis pas.
Vous ne jouez pas dans les deux opus de votre filmographie qui sortent du registre de la comédie : le mélodrame “Une autre vie” et le récit de vengeance de “Mademoiselle de Joncquières”. Est-ce parce que vous vous sentez plus à l’aise dans la comédie, le marivaudage ?
Clairement, oui. Je me suis retrouvé un peu par hasard à jouer dans mes films, et c’était toujours le voeu et la décision du producteur avec qui je travaille. Je serais incapable de me choisir et de me dire qu’il faut que je joue dans l’un de mes films. Cela vient toujours d’une décision du producteur car nous faisons les films à deux et que nous avons une relation très étroite. Donc je ne me suis jamais choisi et il est évident que ma nature va peut-être plus vers la comédie.
Qu’est-ce qui vous a alors conduit vers Edouard Baer pour le rôle du Marquis ?
Deux choses : c’est un acteur que j’aime beaucoup, qui a une élégance, une distinction et une élocution très proches de ce que l’on pourrait imaginer de la saveur d’un Marquis du XVIIIe. Et puis je l’ai revu au théâtre, alors que j’étais en pleine recherche, dans une adaptation de Modiano. Je lui ai trouvé une couleur que je n’avais pas vue au cinéma, une sincérité que j’avais trouvée très belle, très singulière. Car il joue un Marquis séducteur, mais très sincère tout le temps. Je trouve que cette sincérité lui va très bien et c’était assez stimulant, à part peut-être dans une scène ou deux, de montrer Edouard Baer sous un autre angle.
Envisagez-vous d’adapter Marivaux sur grand écran ? Car on y pense souvent en voyant bon nombre de vos longs métrages, qui reprennent la figure du marivaudage, avec ces jeux de l’amour et du hasard.
Non car, déjà, Marivaux est très connu dans le répertoire du théâtre. Il a sa langue et son esprit vient de la langue de ses personnages. Je ne pense pas que ce soit une bonne chose que de trahir sa langue pour le cinéma. Je serais plus intéressé par le mettre en scène au théâtre. S’inspirer d’une trame de Marivaux, et notamment de “La Double inconstance” que j’aime particulièrement, je peux en revanche l’envisager. Mais il est plus difficile de transposer le récit à notre époque, où le rapport entre maître et valet n’est plus le même. Quoique, cela va peut-être changer (rires)
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 6 septembre 2018
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