Lundi 21 novembre, sur Arte, Annie Girardot est la femme de Lino Ventura et la mère d’Isabelle Adjani dans l’incontournable La gifle, de Claude Pinoteau. Monstre sacré du cinéma français, femme entière, généreuse, à propos de laquelle Robert de Niro, son partenaire de Trois chambres à Manhattan, disait : « C’est la plus belle femelle mec que je connaisse ! », l’actrice s’est éteinte un 28 février 2011. Sa mémoire avait foutu le camp. Mais pas la nôtre. Avec Annie Girardot, l’important c’était d’aimer.

Coquine au point de rouler de vrais patins « avec la langue » à ses partenaires à l’écran, Annie Girardot s’est livrée corps et âme à l’amour. Dans un livre qu’elle publiait en 2003, Partir, revenir : les passions vives (le Cherche midi), elle revenait sur ces passions tulmutueuses et souvent destructrices qui firent d’elle une sorte de Piaf du cinéma.

C’est à Rome, dans le petit palais de Luchino Visconti, avec lequel elle tourne, qu’une belle journée de 1960, elle rencontre Renato Salvatori. Elle a 29 ans, lui 27. Il est déjà une star en Italie. Dans Rocco et ses frères, elle campe une prostituée, lui, un client qui va la violer et la tuer. Quand il la poignarde sur le plateau, et que le couteau la blesse, il la toise avec panache : « E per l’arte, madame ! » (C’est pour l’art, madame !). Annie est conquise : « J’ai failli m’évanouir en le voyant. Renato, c’est mon homme. Mon corps l’a compris avant moi. » Les années qui suivent, c’est la dolce vita dans la belle maison à cinq étages que Renato a achetée près du Colisée. Les amis s’y croisent : Trintignant, Vadim et Deneuve, Signoret et surtout Delon – que Renato considère comme un frère – et Romy Schneider, enfants terribles, qui s’aiment et se pourchassent en riant avant de fracasser les tables. Annie et Renato se marient et, bientôt, la naissance de Giulia vient souder cet amour, au point que même séparés, ils ne divorceront jamais

Avec Claude Lelouch, pour qui elle tourne Vivre pour vivre, et Un homme qui me plaît, elle vit une liaison cachée et intense qui leur inspire de superbes improvisations sur le plateau. « Jamais un homme ne m’avait si bien caressée avec la caméra, rendue si belle, si femme. Nous nous sommes beaucoup aimés, beaucoup égratignés, déchirés aussi. »

Bernard Fresson, acteur au tempérament volcanique, devient son compagnon dans les années 70. Avec lui, elle découvre ce qu’elle appelle « la révolution, le séisme » physique. La passion sexuelle se mêle à la peur et la fascination sado-maso qui va avec. Fresson est maladivement jaloux. Il devient violent. « Mon Dieu, s’exclame-t-elle, faut-il que j’aime cet homme et que je m’accroche aux moments heureux, pour être ainsi au ralenti de moi-même, pour chuchoter ma vie ! En 1978, je le quitte après une scène plus pénible que les autres, qui me fait perdre mon joli sourire… »

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A force d’aller écouter Jacques Brel, et d’en sortir tremblante d’émotion – « Ce qu’il chante, c’est mon langage. Il me crache son chagrin, il me le gueule. On se ressemble. » –, il fallait bien que ces deux-là se croisent pour de vrai un jour. Sur le tournage de La bande à Bonnot, ils flirtent un peu. Des mois plus tard, il sonne chez elle, près de la place des Vosges. Annie s’empresse de fermer la porte à clef pour le garder prisonnier de ses bras. De loin en loin, il resurgira, jusqu’à disparaître dans ses îles, aux Marquises. Dans son livre, elle lui lance : « Grâce à toi, j’ai compris que le chant était le lieu de toutes les souffrances, de toutes les voluptés. Et pas un jour ne s’écoule sans que je pense à toi. »

La maladie d’Alzheimer gommera un à un pourtant tous ses souvenirs. Les douloureux, les fievreux, les merveilleux… Annie Girardot glissera doucement vers cet ailleurs d’où personne ne revient jamais. Nous, il nous reste une incroyable et magistrale filmographie. Et ces mots qu’elle balançait à un parterre de stars, au théâtre Marigny, lors de la cérémonie des César qui lui offrait, 35 ans après son César de Meilleure actrice (Docteur Françoise Gaillard), celui de Meilleur second rôle (La pianiste) : Je ne sais pas si j’ai manqué au cinéma français, mais le cinéma français m’a manqué. Follement, éperdument, douloureusement. Votre témoignage d’amour me montre que, peut-être, je ne suis pas encore tout à fait morte.” (2002).

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